:: LES
VESPASIENNES.
Clandestinité
oblige, les homosexuels du XIXe siècle n'avaient pas d'autres choix que
se retrouver dans des lieux bien spécifiques, et connus d'entre eux,
s'ils voulaient pouvoir vivre leur sexualité. Si le mot "vespasienne"
vient du nom d'un empereur romain qui dota en son temps la ville de
Rome de latrines publiques pour empêcher les citoyens de se soulager
dans les caniveaux, ce n'est qu'en 1841 qu'elles se développèrent à
Paris. Elles sont dues à l'initiative d'un préfet de la Seine, le comte
Philibert de Rambuteau, qui dès 1834 décide de doter Paris d'endroits
d'aisance plus hygiéniques. Jusqu'alors la population ne
disposait
que de
barils d'aisance assez précaires et malodorants pour pouvoir faire ses
besoins dans la rue... Les édicules proposés par ce préfet avaient
l'avantage de ne pas avoir besoin d'être vidés de leur contenu puisque
parallèlement, avec les grands travaux d'Haussmann, Paris commençait à
se doter d'un réseau d'égouts. L'intimité est également mieux préservée
dans les vespasiennes que dans les barils d'aisance que l'on utilisait
au grès d'une porte cochère ou d'un taillis propice.
Les premiers édicules parisiens prirent
donc le nom de "Colonnes Rambuteau" au grand dam de son concepteur qui
réussit néanmoins à les faire appeler officiellement "vespasiennes".
Dès le début, ils intéressèrent
les homosexuels, enfin plus exactement les messieurs désireux d'une
relation homosexuelle et qui, par ailleurs, étaient souvent de bons
pères de famille. D'ailleurs les homosexuels n'appelaient pas ces
endroits les vespasiennes ou les colonnes Rambuteau mais les tasses,
pissotières, théières, protestantes et avaient même hiérarchisé les
endroits en
fonction de leur capacité ou de leur coté fonctionnel (voir lexique
ci-dessous). Après Paris, les
grandes capitales se doteront de ce mobilier,
mais aussi la totalité des villes de province, du plus petit village à
la capitale régionale. Nul besoin donc d'avoir un guide des lieux gay à
cette époque, chaque voyageur trouvera instinctivement le lieu de
rencontre de la ville qu'il visitera en approchant pas-à-pas et
prudemment la tasse où les messieurs semblent s'éterniser. Le mot
"prudemment" est de circonstance, car si ces endroits ont la faveur des
homosexuels, ils ont donc aussi indirectement la faveur de leurs
prédateurs. Les petits loubards, maîtres chanteurs, voleurs, arnaqueurs
en tout genre profitent de la faiblesse des homosexuels qui, la plupart
du temps, ne portaient pas plainte de peur de voir leur "turpitude"
révélée au grand jour, à la police, à la justice, à leur famille...
D'ailleurs, les plaintes à la police n'avaient que très peu d'effet,
car du rôle de victime, l'homosexuel passait très vite à celui d'accusé
d'outrage public aux bonnes m½urs.
La police
faisait
aussi partie des "prédateurs" très intéressés par l'activité qui
entouraient les tasses. Elle pouvait ainsi identifier, puis ficher, les
homosexuels et mieux contrôler leurs comportements publics. Il n'était
pas rare que la police des m½urs dispose certains de ses agents dans
les pissotières pour arrêter quelques coupables d'attouchements publics
en flagrant délit.
Il
faut
préciser que les tasses avaient plusieurs
vocations. On pouvait effectivement y faire connaissance avec d'autres
hommes, en engageant la conversation et en emmenant ensuite sa conquête
dans un endroit plus sûr. Elles étaient d'ailleurs à ce titre
d'intéressants endroits de sociabilité où toutes les couches de la
population (masculine) pouvaient se croiser : jeunes, vieux, bourgeois,
prolétaires... L'expression "parloir" pour les désigner, n'était pas
anodine. Mais les pissotières étaient avant tout des endroits de
consommation sexuelle furtive à l'image des backrooms d'aujourd'hui. En
effet,
même si la relation se limitait à quelques attouchements, voire un
peu plus si affinité, elles permettait la plupart du temps à ces
messieurs de
pouvoir se soulager rapidement, sans échanger un mot et sans se
compromettre dans des lieux commerciaux, moins discrets et moins
efficaces. Certaines pissotières étaient dotées de cabines
individuelles, à priori plus pratiques pour les dames, mais leur
fréquentation restait exclusivement masculine. Il n'était pas rare que
la police attende le moment propice pour prendre en flagrant délit deux
hommes partageant la même cabine. Mais les homosexuels trouveront
rapidement la parade : la cloison séparant deux cabines sera
percée d'un trou permettant à certains d'assouvir leur voyeurisme et à
d'autres d'y faire passer le membre convoité. La "glory hole", grand
classique du fantasme gay, avait
trouvé ses adeptes qui échappaient ainsi à toute arrestation par la
police.
A la fin du XIXe siècle, certaines tasses sont dotées d'un bec de gaz
pour les
éclairer la nuit et les rendre moins propices aux dérapages.
Evidemment, quelques malins se feront une spécialité d'éteindre ces
becs de
gaz afin de pouvoir jouir de l'obscurité et d'un plus grand anonymat.
C'est dans la deuxième moitié du 20e siècle, que Paris et la
plupart des
municipalités décident de réduire puis de supprimer les vespasiennes.
Dans les années 50, devant les plaintes des bourgeois, Paris supprime
les tasses des quartiers chics. Les plus prisées, les circulaires à
trois places, sont les premières à disparaître, obligeant les homos à
se rabattre sur les causeuses à deux places. A la fin des années 70, un
nouveau mobilier dont le nom sera déposé en 1980 va remplacer peu à
peu les tasses : La sanisette de la société Decaux va s'imposer dans
toutes les villes et va condamner les homosexuels à draguer ailleurs.
Si la Sanisette est certainement plus hygiénique, elle est aussi
payante et utilisable que par une seule personne à la fois. Bien qu'il
arrive encore que des couples s'y enferment (mais attention,
la
porte s'ouvre automatiquement au bout de 10mn) elles n'est pas propice
à la rencontre. Un siècle de mémoire collective des homosexuels va
disparaître en moins d'une dizaine d'années.
Lexique :
- Vespasienne : Terme officiel adopté par le Préfet de la Seine au
milieu du XIXe siècle.
- Colonne Rambuteau : Expression utilisée par les détracteurs du Préfet
pour désigner les édicules qu'il a mis en place à Paris.
- Edicule
:
Nom plus neutre (à part sa rime) puisqu'il s'agit d'une petite
construction située dans l'espace public et qui peut être affectée à
plusieurs usages : urinoir, porte d'entrée du métro, kiosques, colonnes
Morris, fontaines publiques etc...
-
Tasse : Mot d'argot pour désigner
l'urinoir public. Préféré des homosexuels.
- Théière, Parloir, Ginette, Protestante : autres termes
utilisés par les homosexuels.
- Tea-room : Mot employé par les homos new-yorkais.
- Pissotière ou pistière : Mot employé par Marcel Proust et très
répandu au delà des homosexuels.
- Baie : Mot utilisé par les homosexuels chics du 16e arrondissement de
Paris.
- Soupeur : Minorité sexuelle (homo ou hétéro) qui est attirée par les
odeurs intimes des autres : cela va du
"reniflage" de sous vêtements souillés jusqu'à la consommation ou au
reniflage de mies de pains laissées dans les urinoirs publics.
- Renifleur : terme utilisé par la police au début du 20e
siècle pour désigner les homos fréquentant les tasses.
- Causeuse : Vespasienne à deux places.
- Circulaire : La vespasienne à trois places, la place de choix étant
celle du milieu. La circulaire sera la préférée des homos.
- Chapelle : La vespasienne la plus courue d'une ville et généralement
réputée pour sa possibilité de baise sur place.
Il existe probablement un lexique spécifique pour chaque région.
Afin que ce vocabulaire en voie de disparition ne s'éteigne pas avec
les derniers adeptes des tasses, n'hésitez pas à nous faire part de
particularismes régionaux.
Adresses :
Dans la visite "géographique" de notre site, nous avons dressé un
inventaire de tous ces lieux par région et par époque.
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