Evénement
mondial, la grande guerre va transformer le visage de l'Europe et
accessoirement, va aussi avoir des conséquences sur l'évolution des
m½urs. Evénement pour la sub-culture homosexuelle, Corydon, publié par
André Gide en 1911, est le premier roman français à faire l'apologie de
l'homosexualité et à dénoncer la suprématie de l'hétérosexualité. Les
années 10 signent la fin de la Belle Epoque mais annoncent aussi une
époque plus contrastée pour les homosexuels, les Années Folles : Si
Paris et quelques villes de régions voient émerger une plus grande
visibilité de l'homosexualité qui devient festive, l'homophobie d'Etat
devient aussi plus virulente.
EVENEMENTS EN FRANCE
- 15 février 1910
Ordonnance du Préfet de Police de Paris,
Louis Lépine, interdisant la danse entre hommes.
- 1911
André Gide
publie Corydon
- 1913
Marcel Proust publie "A la Recherche du Temps
Perdu"
- 3 août 1914
L'Allemagne
déclare la guerre à la France.
- 11 novembre 1918
Signature de
l'armistice
- 1919
Ouverture à Paris du premier cabaret de
travestis : Le Liberty's Bar.
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PREMIERE GUERRE MONDIALE : DE NOMBREUSES CONSEQUENCES SUR L'EVOLUTION
DES M¼URS. LA
PLACE DE LA FEMME EST RECONSIDEREE.
La guerre de 14-18 avec ces millions de morts va mettre fin brutalement
à la Belle Epoque. Alors que les hommes s'étripent dans les tranchées,
ce sont les femmes qui font tourner les usines et permettent à la
France de continuer à fonctionner. C'est cette guerre atroce qui
permettra paradoxalement à la femme de sortir enfin de son rôle de
"sous-homme" pour être peu à peu reconnue comme un être humain à part
entière. Le combat sera encore long et il se fera parallèlement à celui
des homosexuels qui souffrent des mêmes maux : ceux d'une société
machiste dominée par les mâles qui n'acceptent aucune compromission
avec le sexe "faible", qui considèrent la femme comme un être
intellectuellement inférieur et le pédéraste comme un traitre à son
propre sexe.
UN
SEISME DEMOGRAPHIQUE PEU FAVORABLE A L'HOMOSEXUALITE.
Les conséquences de la guerre de 14-18 ont été catastrophiques sur la
démographie française. On estime à 1,3 millions le nombre de morts
français, sur une population qui compte à l'époque 39 millions de
français. La plupart sont des hommes jeunes en âge de procréer. Et
comme si un malheur ne suffisait pas, la grippe, dite espagnole, a fait
au minimum 400 000 morts en France en 1918, mais ce chiffre est
largement sous-estimé. Cette grippe va toucher essentiellement des
enfants en bas-âge comme la grande épidémie de fièvre typhoïde de 1915.
La France se trouve confrontée à un grave problème de dénatalité. Les
dirigeants politiques sont contraints de prendre des mesures pour
favoriser la natalité et la famille. Bien évidemment, l'homosexualité
n'est pas considérée comme un facteur en adéquation avec ces objectifs.
Favorisée et suscitée par les décideurs, l'homophobie va se
populariser. La littérature va associer homosexualité et décadence, la
presse et les critiques littéraires vont condamner sévèrement les
quelques écrivains qui osent aborder l'homosexualité sous un angle
positif. Gide publiera son roman "Corydon" sous pseudonyme en 1911 et
lorsqu'il le revendique ouvertement en 1924, c'est un scandale énorme.
La revue Fantasio continue son déferlement homophobe avec des
couvertures de plus en plus agressives envers les homosexuels. Les
partis de droite partent en guerre contre l'homosexualité, l'avortement
et le travail des femmes, causes, selon eux de la
dépopulation.
ACCENTUATION
DE LA
SEPARATION DES SEXES.
Mais cette guerre va aussi avoir d'autres conséquences sur l'évolution
des m½urs. Elle va encore amplifier la séparation des sexes. D'un coté
le monde des femmes qui élèvent les enfants et avaient remplacé les
hommes dans leur travail, de l'autre le monde des hommes qui vivent
entre eux sur le front et compensent l'absence de femmes par une
fraternité virile, voire par des amitiés particulières favorisées par
la promiscuité.
Pour mieux supporter l'atrocité des combats et les dures conditions
d'une guerre de tranchées, les militaires improvisent entre eux des
petits spectacles, des pièces de théâtre, de la danse, des chansons.
Les nombreuses cartes postales et photos de l'époque nous confirment
que le travestissement était très courant lors de ces spectacles dont
les rôles féminins étaient joués par des hommes. Dans les camps de
prisonniers en Allemagne, l'autorité allemande avait aussi tendance à
favoriser les spectacles organisés par les prisonniers oisifs qui
montaient de véritables pièces de théâtre avec décors et costumes et en
particulier des costumes féminins portés par les jeunes poilus à qui
ont avait trouvé des prédispositions. Evidemment, si ces événements
anecdotiques ont été immortalisés par des photos, il ne doivent pas
cacher non plus la réalité. 5% des prisonniers de guerre en Allemagne
mouraient de privations ou de maladie mais ce taux était bien inférieur
à celui des morts sur le front et les Allemands, déjà au fait de la
guerre psychologique, avaient intérêt à faire savoir que la vie était
bien plus acceptable quand on était prisonnier. Avant guerre, la presse
française ne s'était pas privée de se moquer de l'entourage un peu
efféminé
du Kaiser, les Allemands semblent renvoyer la balle avec ces soldats
français travestis dont ils réalisent les cartes postales.
Soldats travestis
Pièce de théâtre jouée par des
prisonniers
français au camp de Königsbrück.
Prisonniers français du
camp de
Friedrichsfeld lors de spectacles.
Le zouave,
le chasseur alpin,
le fantassin et l'infirmière... à moustache
Prisonniers français à
Königsbruck
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NAISSANCE DES SPECTACLES DE TRAVESTIS ET TRANSFORMISTES.
Dès
la fin du XIXe siècle, il n'était pas rare de trouver au théâtre
des rôles d'hommes joués par des femmes, comme l'Aiglon interprété par
Sarah Bernhardt, et quelques artistes avaient déjà repris et popularisé
un art ancien, celui du transformisme. César Cascabel, transformiste
d'Amiens se produisait dans des cirques à la fin du 19e siècle et
changeait de tenue en un clin d'½il. Il sera immortalisé dans un roman
de Jules Vernes. Mais c'est un italien, nommé Leopoldo Fregoli, qui va
donner ses lettres de noblesse à cet art. Lui aussi fait
ses
premiers numéros à l'armée pour distraire les soldats italiens du corps
expéditionnaire d'Abyssinie. A son retour, il en fait sa profession et
entame une carrière internationale. Son numéro présente 60 personnages
différents qu'il incarne en se transformant en quelques secondes,
changeant de postiche et de costume. En 1900, il passe au Trianon
Palace, boulevard Rochechouard à Paris où il fait un triomphe. Mais le
spectacle est stoppé en raison de l'incendie du théâtre. Il reprend
immédiatement à l'Olympia où il sera à l'affiche durant 300
représentations, record jamais égalé. Il se produira aussi à Lyon, au
théâtre des Célestins. Frégoli va susciter de nombreuses
vocations et aura même des imitateurs français qui n'hésiteront pas à
s'inspirer même de son nom comme Frégo dela Fiore, Fredioni ou
Frégolin. Emile Grandsart, qui se fait nommer "le Fregoli français" se
produira en France et à l'étranger. Un siècle plus tard, Arturo
Brachetti sera, lui aussi, un disciple de Fregoli, avec un succès
comparable.
D'autres artistes populariseront à la même époque l'art du
transformisme : Otero Lanzetta, Body's, John
Lind, dans son
numéro de danseuse sur pointe,
Louis Vernassier, "L'homme Protée Musical", homme orchestre qui se
produit habillé en femme et surtout Monsieur Bertin qui va
parodier les chanteuses célèbres de son époque comme Yvette Guilbert.
Son spectacle va introduire le genre du travesti burlesque qui imite
ses contemporains et surtout ses contemporaines et qui fera les grands
jours des cabarets parisiens. Dans un autre genre, la comédienne Marthe
Ferrare de l'Opéra Comique, qui incarne le duc de Mantoue au début des
années 20, est entourée d'une troupe de travestis.
Après
la guerre, les petits cabarets de travestis vont faire leur
apparition à Paris et en particulier à Montmartre. Loin des grands
transformistes à la carrière internationale, des amateurs de
travestissement en assureront l'animation avec plus ou moins de bonheur
et de vulgarité. Le transformisme est un métier pratiqué
majoritairement par des homosexuels même si ce n'est pas exclusif, mais
il peut être aussi pratiqué par des hétérosexuels et par des travestis
qui s'habillent en femme
à la ville par goût ou pour satisfaire leur nature profonde et qui
n'ont pas nécessairement des qualités pour mener un spectacle. Dans les
cabarets parisiens, dits de travestis, cohabiteront toujours de
véritables artistes mais aussi des garçons dont la nature transsexuelle
ne permettra pas d'exercer d'autres métiers. Les deux n'étant
évidemment pas nécessairement incompatibles et beaucoup de transsexuels
contribueront aussi à travers les époques à apporter leur pierre à cet
art.
Contrairement à une idée reçue, au début du siècle, les villes de
région ont aussi leurs figures célèbres qui se produisent dans
les restaurants, dans les théâtres, dans les cirques ou dans la rue,
car il n'existe pas encore de cabaret spécialisés en
province.
"Crun Crun" est un personnage truculent dont les excentricités vont
égayer les rues d'Avignon. Le célèbre Carré à Laon, Nanette à
Argentan, la mère Cottivet à Lyon n'en sont que quelques exemples. De
l'Alsace à la Bretagne en passant par la Normandie ou l'Auvergne, des
personnages originaux, artistes ou marginaux, vont toujours apporter de
la magie, du rêve, de l'illusion et du rire à la vie
nocturne.
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RESSOURCES
EXTERIEURES
::
Sources :
::
Sites internet :
- Didier Eribon, Dictionnaire
des Cultures Gays et
Lesbiennes, Larousse, 2003
- Collectif, Dictionnaire
de l'Homophobie, Puf, 2003
- Jean-Louis Chardans, History and
Anthology of Homosexuality, British Group
of sexological Research
- Régis Revenin, Homosexualité
et prostitution masculines à Paris 1870-1918, L'Harmattan,
2005
- Pierre Hahn, Nos
ancêtres les pervers, 2006
- Florence Tamagne, Revue
d'Histoire moderne & Contemporaine, Belin, 2006
- Collection privée de cartes postales.
- Gilles Barbedette et Michel Carassou, Paris Gay 1925,
Editions Non Lieu, Paris, 2008
- Lambda-education
: Excellent site suisse sur l'histoire de l'homosexualité, bien
documenté, 50 pages de texte, 100 illustrations : http://www.lambda-education.ch
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