En
juin 1940, l'Alsace, comme la Moselle, sont annexées au Reich allemand.
Contrairement au reste de la France constitué d'une zone libre et d'une
zone occupée, ici ce sont maintenant les lois allemandes qui
s'appliquent et la langue française est interdite. Concernant les
homosexuels, le paragraphe 175, qui a déjà provoqué l'arrestation et la
déportation de nombreux homosexuels allemands depuis 1934, va être
opposable aux homosexuels alsaciens et mosellans.
:: RAFLES
D'HOMOSEXUELS
ALSACIENS.
Dès juin 1940, une première rafle des homosexuels alsaciens est
organisée par la Gestapo qui s'est installée dans toutes les villes
d'Alsace et de Moselle. Les fichiers d'homosexuels, constitués dans les
années 30 par la police française et encore contestés par certains
aujourd'hui, sont transmis à la police allemande. Plusieurs centaines
d'homosexuels sont arrêtés dans toutes les villes d'Alsace et sont
envoyés au camp de rééducation de Schirmeck dans le Bas-Rhin. De toutes
conditions et de tous les âges, ils sont parqués durant 6 semaines dans
des conditions d'hygiène déplorables avant que les nazis décident de
les expulser vers la France libre. C'est Aimé Spitz (cf sources
ci-dessous) qui sera chargé de les accueillir à leur arrivée au Centre
d'Accueil du Palais de la Foire à Lyon. Aimé Spitz, Secrétaire du
Centre d'Accueil mais aussi homosexuel strasbourgeois qui a fuit
l'Alsace avant l'arrivée des Allemands en 1940, va recenser 91
personnes expulsées en raison de leur homosexualité entre le 1er
juillet 1940 et la fin décembre 1940. Ce chiffre est sous-estimé
puisque des archives allemandes publiées en 2004 recenseront pas moins
de 95 homosexuels expulsés en France de l'intérieur pour la seule
journée du 27 juin 1940 et pour la seule ville de Mulhouse.
Ces
personnes pourront se considérer comme des privilégiés car le sort des
autres homosexuels restés en Alsace et en Moselle sera beaucoup moins
enviable. En effet, dès le mois de mai 1941 d'autres arrestations vont
avoir lieu en Alsace et cette fois, il n'est plus question d'expulsion.
Les homosexuels arrêtés seront torturés pour dénoncer leurs
connaissances et allonger la liste des arrestations puis seront l'objet
de déportations.
:: DEPORTATION.
En
novembre
2001, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation va recenser 206
alsaciens lorrains déportés au titre du §175 et envoyés aux camps de
Schirmeck et de Natzweiler-Struthof en Alsace avant, pour la plupart
d'entre eux, d'être envoyés dans des camps en Allemagne. Ces chiffres
vont être révisés par la FMD en 2007, car il s'avère que parmi ces
déportés des camps alsaciens, une majorité était constituée de citoyens
allemands. Des études plus approfondies sur l'origine des déportés en
raison du §175 vont être menées.
Sans que les chiffres ne soient
définitifs, car les archives dispersées sont dépouillées peu à peu, en
2010, il est établi que 62 français ont été déportés en raison de leur
homosexualité, depuis la France occupée (7), depuis l'Alsace Lorraine
(23) et depuis l'Allemagne (32).
Sur ces 62 français, 18 alsaciens
et 4 Mosellans sont arrêtés dans le territoire annexé (plus 1 français
de l'intérieur). 8 sont internés ou ont transité à Schirmeck, 10 à
Natzweiler, 4 envoyés dans des prisons en Allemagne. 6 vont mourir lors
de leur détention, 15 vont survivre et un dernier va disparaître sans
laisser de trace.
A ces 18 Alsaciens arrêtés en Alsace, il faut
rajouter 12 homosexuels alsaciens arrêtés en Allemagne où ils étaient
allés travailler. Ces derniers seront incarcérés dans des prisons
allemandes, pour la plupart jusqu'en 1945.
En totalité,
les Allemands arrêtent près de 100 000 homosexuels en Europe et près de
15 000 périront dans les camps. Il aura donc fallu près de 60 ans pour
que cette réalité historique soit enfin reconnue. Il est à noter que si
les lesbiennes ne sont pas concernées par le paragraphe 175 et ne
peuvent pas être arrêtées en raison de leur homosexualité, il arrive
qu'elles le soient en tant que "asociales", lorsque leur mode de vie ne
s'insère pas dans les normes de la société nazie..
:: LIBERATION.
A la
Libération en 1945, l'Alsace retrouve la
France. Les homosexuels ne
dépendent plus du paragraphe 175 des Allemands mais de l'article 331
voté en 1942 par le gouvernement de Pétain. En effet, si le nouveau
gouvernement français de la Libération abroge toutes les lois
scélérates de Vichy et notamment les lois antisémites, il "oublie"
volontairement la loi discriminant l'homosexualité qui reste donc un
délit. Les rescapés des camps qui avaient été déportés pour
homosexualité sont considérés comme des délinquants au même titre que
les prisonniers de droit commun. A ce titre, leur mémoire n'est pas
reconnue par les autorités et par les organisations d'anciens déportés.
Parmi les homosexuels français déportés, dont la majorité ne revint
pas des camps, un seul aura le courage de témoigner en 1982. Pierre
Seel, un mulhousien déporté à l'âge de 18 ans, simplement parce qu'il
figurait sur un fichier d'homosexuels transmis par la police française
à la gestapo, suite à une plainte qu'il avait porté avant-guerre pour
un vol de sa montre avec agression sur un lieu de drague de Mulhouse.
C'est une prise de position de l'Evêque de Strasbourg en 1982, Mgr
Elchinger, qualifiant les homosexuels d'infirmes, qui le fera sortir de
son long silence. Seules les archives retrouveront leurs noms
qui ne seront pas divulgués pour respecter leur mémoire et leur volonté
de rester silencieux. Ce silence assourdissant a de nombreuses raisons
qu'il convient de respecter :
-
Comme précisé plus haut, l'homosexualité reste un délit à la
Libération, et aucun déporté ne veut s'exposer à nouveau en
revendiquant son arrestation pour cause d'homosexualité. Même si
l'oubli est impossible, il faut s'efforcer de vivre "normalement".
- Un sentiment de culpabilité très fort s'empare des rescapés
homosexuels dont le motif de déportation est presque ressenti comme
futile et honteux face au drame qui emporta des millions de juifs y
compris des enfants innocents dans la barbarie nazie. La société
bien-pensante considère que la religion, les idées politiques, la race
ou le fait de résistance sont tout de même des raisons autrement plus
nobles que d'avoir aimé dans sa vie un autre homme.
- La société de l'époque reste encore très hostile à l'homosexualité.
Reconnaître les raisons de sa déportation, s'est aussi "avouer" son
homosexualité aux yeux de ses proches. Quand ces derniers sont au
courant, ils ne souhaitent pas non plus être la cible de la réprobation
populaire ou de la raillerie des voisins. La honte est de mise.
- Enfin, la France n'a rien à faire de ces pédés mosellans et
alsaciens, considérés d'ailleurs comme des Allemands. Dans le reste du
pays, très peu d'homosexuels n'auront été inquiétés pour leurs m½urs.
D'ailleurs
l'élite intellectuelle homosexuelle parisienne a continué à vivre
normalement durant l'occupation et certains noms célèbres ont même
goûté aux joies de la collaboration.
Les intellectuels et les
historiens resteront donc muets sur ce sujet et personne ne demandera
jamais à ces déportés de témoigner. Après l'assassinat d'homosexuels
dans les camps, c'est leur mémoire qu'on assassine après la Libération.
L'Allemagne sera moins aveugle sur ce sujet, puisqu'elle reconnaîtra ce
fait historique bien avant la France.
Ce n'est que dans les années 90 que les associations homosexuelles se
battront pour cette reconnaissance. Leurs gerbes de fleurs à la mémoire
des triangles roses seront piétinées à plusieurs reprises par les
associations d'anciens déportés dont la conduite ne sera pas plus
honorable que celle des négationnistes. Ce n'est qu'en 2002, que pour
la première fois, le collectif des associations LGBT de Strasbourg est
autorisée à se
joindre aux cérémonies du souvenir de la déportation. Mais il
sera encore condamné à déposer sa gerbe après la fin de la cérémonie
durant laquelle aucune mention des déportés homosexuels n'est faite. Ce
n'est qu'en 2006, que l'association "Les Oubliés de l'Histoire", suite
à une décision favorable de la Haute Autorité de Lutte contre les
Discriminations (Halde), est autorisée à représenter les minorités
déportées dans l'univers carcéral nazi. Elle est donc désormais invitée
officiellement aux manifestations du souvenir de Strasbourg au même
titre que les associations de déportés et d'anciens combattants, ce qui
ne justifie donc plus le dépôt d'une gerbe spécifique.
Pierre
SEEL est né à Haguenau le 16 août 1923. Il passe son enfance à Mulhouse
et découvre son homosexualité à l'adolescence. En 1939, lors d'un banal
vol de montre sur un lieu de drague mulhousien, il a la mauvaise idée
de porter plainte à la police qui lui fera la morale en lui interdisant
de fréquenter les lieux de drague homosexuels mais surtout en le
fichant comme tel dans ses listes. C'est en mai 1941 que Pierre Seel
sera convoqué à la Gestapo, les nouveaux maîtres de la ville. Entre
temps, la police française avait transmis à l'autorité occupante tous
ses fichiers et évidemment, ses listes d'homosexuels. C'est pour cette
raison que Pierre Seel est arrêté comme tous les homosexuels fichés
d'Alsace et de Moselle. Le 4 mai 1941 il est incarcéré à la prison de
Mulhouse durant 9 jours et torturé afin d'obtenir des noms d'autres
homosexuels. Il est envoyé ensuite au camp de redressement de Schirmeck
et participera à la construction du camp de concentration du Struthof.
Durant son incarcération il assistera à l'assassinat de son ami, sur la
place du camp, par les nazis qui le feront dévorer par les chiens. En
mars 1942, les allemands décident de l'incorporer de force dans leur
armée et il est envoyé comme chair à canon sur le front Est. Il
parviendra à
s'échapper et se livrera aux russes qui l'enverront en Pologne
combattre les nazis. Il survivra à toutes ces épreuves et pourra
retrouver sa famille à la fin de la guerre. Mais, profondément meurtri,
il décidera de ne jamais rien révéler des raisons de son arrestation,
d'autant plus que les lois de Vichy prises en 1942 contre les
homosexuels ne seront pas supprimées par le nouveau gouvernement
français. Il se mariera, fondera une famille et quittera l'Alsace pour
Toulouse.
Le secret aurait pu être gardé jusqu'à la fin de sa vie, s'il n'avait
pas été révolté en 1982 par les déclarations homophobes de l'Evêque de
Strasbourg. Dès lors, il décide de parler, de raconter son histoire.
En 1994, il publie un livre "Moi Pierre Seel, déporté homosexuel" et
décide de combattre le reste de sa vie pour la reconnaissance des
déportés pour homosexualité.
Pierre SEEL décède à Toulouse le 25 novembre 2005 à 82 ans. Une modeste
rue de Toulouse porte désormais son nom.
>
Sélection Hexagone Gay de chansons de l'occupation et de la Libération :
RESSOURCES
EXTERNES ET REMERCIEMENTS
- La revue
Gai Pied
- La revue de David et Jonathan
- Les archives du Centre LGBT Paris Ile-de-France
- Pierre SEEL, Moi
Pierre Seel, déporté homosexuel, Callmann & Lévy,
2005
- Témoignage de Aimé Spitz paru dans la revue de l’association « David
et Jonathan » d'octobre 1973.
- Témoignage Camille Erremann, homosexuel alsacien expilsé en 1940,
paru dans Gai Pied n°62 du 26 mars 1983.
- Heinz
HEGER, Les
hommes au
triangle rose, Journal d'un déporté homosexuel 1939-1945
- réédition H&O 2006
- http://www.bddm.org
- http://www.devoiretmemoire.org
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