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NAISSANCE DE L'HOMOSEXUEL.
C'est
en
1869
et en Allemagne que sont inventés les mots "Homosexualité"
(Homosexualität) et "homosexuel". Ils se répandront peu à peu à
travers toute l'Europe mais au début du XIXème siècle, on préfère
encore parler de "pédérastes", "d'invertis" voire de "sodomites". Si ce
troisième terme désigne les amateurs d'une pratique pas exclusivement
homosexuelle, les deux premiers distinguent les homosexuels selon un
genre qu'on leur attribue, comme c'est encore le cas, par exemple, dans
les pays du
Maghreb. Le pédéraste est un homme d'âge mûr attiré par les jeunes
hommes, les éphèbes ou les adolescents, l'inverti étant celui qui
éprouve des désirs réservés habituellement aux femmes, bref, qui est
plutôt passif au lit... C'est avec ce changement de vocabulaire que la
perception de l'homosexuel
va également évoluer durant ce
XIXème
siècle. L'homosexuel, quels que soient ses
comportements, ses tendances, ses attirances,
qu'il soit hyper viril ou efféminé, fait maintenant
partie d'un même groupe social bien identifié qui se constituera plus
tard, dans certains pays, en communauté. Le terme s'applique
d'ailleurs aussi aux
femmes qui aiment les femmes, avec une même diversité de comportements
ou de nature.
Mais le mot "lesbienne" fait aussi son apparition en ce XIXe siècle
dans la littérature française. Depuis la Renaissance, on parlait de
"tribade", terme qui va tomber définitivement en désuétude avant 1900.
L'émergence d'une communauté homosexuelle qui se reconnait à travers
son orientation sexuelle et non plus à travers son appartenance à un
genre inversé, va permettre une meilleure
identification des êtres attirés par les êtres du même sexe. Cette
identification va permettre de les jeter tous dans le même sac de la
maladie mentale définie par la psychiatrie naissante. Heureusement, les
effets secondaires de cette maladie, vont être des effets bénéfiques
pour l'expression artistique. Si les homosexuels ont toujours été
sur-représentés dans les arts et la littérature, on ne
pouvait pas
parler jusqu'alors d'une expression artistique ou littéraire
homosexuelle. De manière encore
discrète et sous le manteau, une littérature érotique homosexuelle et
des peintures sans ambiguïté vont braver les foudres de la censure
encore extrêmement vigilante d'une société conservatrice, religieuse et
prude. L'homosexualité en tant que phénomène social, culturel et
politique fait son apparition avec la fin du 19ème siècle.
On va parler de subculture homosexuelle et, au delà des arts, des lieux
sociaux vont se créer dans les grandes villes. A Paris, des bars,
auberges, cabarets vont accueillir une clientèle spécifiquement
homosexuelle. Les femmes lesbiennes auront aussi leurs cercles privés,
leurs salons. Les grandes villes de région, de manière plus discrète,
vont aussi avoir leurs adresses. Dans ces lieux vont naître une façon
d'être, des us et coutumes spécifiques, des codes, une sorte de langage
international, interculturel, intergénérationnel qui perdureront à
travers les époques et les pays malgré l'absence de transmission
familiale.
EVENEMENTS EN FRANCE
- 1800
Une ordonnance
de la préfecture de Paris
interdit aux femmes de se travestir en homme.
- 1810
Le nouveau
Code Pénal Napoléonien ne fait
plus mention du crime de sodomie.
- 28 avril 1832
Pour la première fois, une loi introduit la
notion de majorité sexuelle en France. Le premier seuil est fixé à 11
ans.
- 1857
Le docteur Ambroise Tardieu publie les
"Etudes médico-légales sur les attentats aux m½urs"
- 1857
Publication des "Fleurs du Mal" de Charles
Baudelaire
- 13 mai 1863
Une nouvelle loi fixe l'âge de la majorité
sexuelle à 13 ans.
- 17 juillet 1880
Loi instaurant la liberté des débits de
boisson.
- 1891
Les termes "homosexualité" et
"hétérosexualité" entrent dans la langue française.
- 1894
Création de la brigade mondaine à Paris.
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LEGISLATION : LA FRANCE EN AVANCE SUR L'EUROPE.
Au 19ème siècle, et contrairement au 21ème, la France
va être un pays précurseur en matière de tolérance et sa législation
sera la seule en Europe (et dans le monde) à ne pas condamner
l'homosexualité en tant que telle. Mais attention, on est encore très
loin d'une société acceptant l'homosexualité comme un comportement
naturel et normal. En 1791, la révolution française avait déjà balayé
les lois religieuses qui condamnaient à mort certains crimes comme le
blasphème, la sorcellerie ou la sodomie. En 1810, le code Napoléon,
sous l'impulsion de Jean-Jacques Cambacérès, deuxième personnage de
l'Etat et homosexuel affiché, supprime les articles réprimant la
sodomie. La nouvelle constitution ne fait aucune allusion à ce
comportement qui n'est donc plus jugé criminel aux yeux de la loi. Par
extension, plus rien ne s'oppose à ce que deux personnes consentantes
puissent avoir entre elles une relation homosexuelle. Pour une fois le
droit était en avance sur son époque, car les esprits étaient encore
loin d'être libérés de l'emprise religieuse. Petits juges, policiers
zélés et magistrats confondant la loi divine de celle des hommes vont
s'évertuer à rendre la vie difficile aux homosexuels. Pour être
combattue, l'homosexualité sera associée à la prostitution, à la
pédophilie, à la délinquance et au crime, en tant que cause principale
ou dans le meilleur des cas, en tant que circonstance aggravante. La
police des
m½urs renforcera sa répression sur les lieux de rencontre homosexuels
et fera condamner les homosexuels pour "outrage public aux bonnes
m½urs". Ils continueront à être fichés, traqués, menacés et seuls ceux
ayant les moyens de faire appel à des avocats bien au fait de la
législation, pourront échapper à des jugements répressifs, mais pas à
l'opprobre publique.
Concernant la pédophilie, la loi l'ignorait jusqu'en 1832. A cette
date, la notion de majorité sexuelle est établie à 11 ans, ce qui
signifie que les relations avec des mineurs de moins de 11 ans peuvent
être condamnées. Là aussi, en théorie, il n'existe pas de différence
entre la nature de la relation, qu'elle soit homosexuelle ou
hétérosexuelle.
En comparaison, en
Angleterre,
le crime de sodomie est encore passible de la peine de mort. Entre 1800
et 1834, 80 personnes seront pendues en Angleterre pour ce crime. La
peine de mort ne sera abolie pour les sodomites anglais qu'en 1861,
mais en cas de prostitution juvénile, ils encourront toujours les
travaux forcés au minimum pour 10 ans, au maximum à perpétuité. En
1885, avec
l'amendement Labouchère, la
durée des travaux forcés est abaissée à deux ans mais la peine est
étendue à tous les hommes coupables "d'outrage aux m½urs" ou de
"tentatives d'actes contre nature". Autrement dit, toute relation
homosexuelle, quellle que soit sa nature, même entre adultes
consentants,
est condamnée à deux ans de travaux forcés. L'écrivain Oscar Wilde sera
une des victimes de cette loi qui l'obligera à se réfugier en France
après deux ans de travaux forcés.
Dans les grands empires européens que sont la Prusse, l'Autriche-Hongrie ou
la Russie,
la peine de mort pour sodomie sera progressivement supprimée au début
du 19ème siècle et commuée en travaux forcés. Certains états allemands
(Bavière, Wurtemberg, Brunswick, Hanovre...) iront même, à l'instar de
la France, jusqu'à supprimer toute répression
envers les homosexuels. Mais avec la constitution de l'Empire
Germanique en 1871 c'est la répressive législation prussienne qui sera
étendue à tout le Reich
allemand : le paragraphe 175 qui punit de 5 ans de prison tout
adulte, même consentant, coupable d'une relation homosexuelle, sera
appliqué dans toute l'Allemagne et dans l'Empire d'Autriche-Hongrie. Ce
retour de la répression poussera au suicide le roi de Bavière Louis II,
dont l'homosexualité lui vaut d'être interné pour folie. En
Russie, au début du siècle, les bûchers de sodomites s'éteindront peu à
peu pour laisser la place à 4 ou 5 ans d'exil en Sibérie, de quoi
refroidir les ardeurs. Mais l'élite aristocratique échappe à la loi.
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PSYCHIATRIE ET MEDECINE : L'HOMOSEXUEL PASSE DU STATUT DE CRIMINEL A
CELUI DE MALADE MENTAL.
Les médecins allemands,
suisses, hongrois et autrichiens sont
les premiers à s'intéresser à l'homosexualité et à la présenter sous
l'angle médical. Le médecin allemand Johann Ludwig Casper
considère en 1852 que l'homosexualité est innée et non acquise mais sa
théorie restera très minoritaire. Le sexologue hongrois établi à
Vienne, Karoly Maria Kertbeny, demandera au ministre prussien de la
justice, la dépénalisation de l'homosexualité et sera d'ailleurs le
premier à utiliser le terme "homosexualität" (1868). Pour lui,
l'homosexualité ne doit plus relever de la justice mais de la médecine.
Sa demande restera sans effet en Prusse. En revanche, les discours plus
radicaux comme celui du psychiatre allemand Richard von Krafft-Ebing,
auront d'avantage d'écoute dans la société. Il considèrera que
l'homosexualité est une "tare névro-psychopathologique", une
dégénérescence. A ce titre,
la médecine doit tout mettre en ½uvre pour guérir les homosexuels et si
elle ni
parvient pas, il faut les écarter de la société qu'ils mettent en
danger.
Désormais, on n'assassinera plus les homosexuels mais on les livrera à
des expériences médicales qui relèveront plus de la torture que de la
science et on les enfermera dans des hôpitaux psychiatriques.
Quelques voix plus tolérantes arriveront aussi à se faire entendre
parmi les médecins et les psychiatres. Le médecin anglais Henry
Havelock
Ellis va dresser une liste d'artistes et de figures historiques connus
pour leur homosexualité, considèrera que la médecine ne peut guérir les
homosexuels de leur maladie mais peut les aider à mieux la vivre par
l'abstinence. Son livre sera saisi et détruit par le procureur de
Londres pour obscénité.
Le neurologue juif allemand et homosexuel Magnus Hirschfeld (1868-1935)
va publier un premier livre sous couvert d'un pseudo en 1896, "Sappho
et Socrate", dans lequel il s'engage contre les discriminations dont
sont victimes les
homosexuels. En 1897, il fonde le Comité Scientifique Humanitaire (CSH)
à Berlin, premier groupe socio-politique engagé pour la défense des
homosexuels. Il ne révèlera jamais son homosexualité de peur de
décrédibiliser ses travaux scientifiques sur le sujet. C'est au début
du siècle suivant (cf 1900)
qu'il pourra être
considéré comme le premier militant actif et influent de la cause homo
dans le monde, avant que ses travaux ne soient anéantis par le nazisme.
En
France, le
médecin légiste Ambroise Tardieu publie en 1857 "Les Etudes
médico-légales sur les attentats aux bonnes m½urs" qui vont
répertorier de manière méticuleuse tout ce qui est censé caractériser
physiquement et psychiquement les homosexuels : rectum
infundibuliforme, verge en forme de pénis de chien mais aussi quelques
"qualités" féminines comme l'inconstance, la duplicité ou le bavardage.
Son catalogue relève d'avantage du musée des horreurs que de l'ouvrage
scientifique mais il a au moins le mérite de rassurer sur leurs bonnes
m½urs tous les mâles qui n'ont pas un sexe de chien. Le Professeur
Jean-Martin Charcot invente en 1882 l'expression "perversion sexuelle"
qui aura de beaux jours devant elle. En 1886, le professeur Alexandre
Lacassagne publie les "Archives d'anthropologie criminelle, de
criminologie et de psychologie normale et pathologique" qui mettent en
avant le fait que les pervers sexuels sont sur-représentés dans la
population criminelle. En résumé, si les "pervers sexuels" ne sont pas
systématiquement des criminels mais avant tout des malades, ils ont des
prédispositions naturelles à la criminalité. Un autre éminent
docteur, Henri Legrand du Saulle, affirme en 1876, que l'homosexualité
est une dégénérescence héréditaire, ce qui confortera l'idée
qu'il
ne faut pas pousser les homosexuels à se marier et à faire des enfants
car leur tare risque de se transmettre à leur descendants. Enfin, le
docteur Georges Saint Paul, collaborateur de Lacassagne, publie sous le
pseudo de "Dr Laubt" en 1896 "le roman d'un inverti né" qui révèle les
confidences d'un patient, tendant à démontrer que l'homosexualité est
innée chez les invertis et non acquise au cours de la vie. (cf Lorraine 19e siècle).
Tous ces travaux "scientifiques" font avoir pour conséquence qu'en
France, à la fin du XIXe siècle, l'homosexualité va relever du domaine
de la médecine et de la psychiatrie et entrer pour longtemps dans le
champ des maladies mentales.
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RESSOURCES
EXTERIEURES
::
Sources :
::
Sites internet :
- Didier Eribon, Dictionnaire
des Cultures Gays et
Lesbiennes, Larousse, 2003
- Collectif, Dictionnaire
de l'Homophobie, Puf, 2003
- Jean-Louis Chardans, History and
Anthology of Homosexuality, British Group
of sexological Research
- Régis Revenin, Homosexualité
et prostitution masculines à Paris 1870-1918, L'Harmattan,
2005
- Pierre Hahn, Nos
ancêtres les pervers, 2006
- Florence Tamagne, Revue
d'Histoire moderne & Contemporaine, Belin, 2006
- Lambda-education
: Excellent site suisse sur l'histoire de l'homosexualité, bien
documenté, 50 pages de texte, 100 illustrations : http://www.lambda-education.ch
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