PARIS
AU 19e SIECLE. Si
le 19ème siècle voit naître le mot "homosexualité", peu de villes en
Europe, à part Berlin et Paris verront naître une véritable vie
homosexuelle organisée et diversifiée. Londres est encore sous le joug
de lois anti-homosexuelles très sévères et New-York attendra les année
30 pour voir se développer une vie homosexuelle active.
Si
Paris est le centre intellectuel, politique, artistique de la France,
c'est donc naturellement dans cette ville qu'émerge au XIXe siècle un
tissu d'établissements homosexuels et de parcours de rencontres
organisés. Même si le phénomène est beaucoup plus ancien, c'est à la
fin du XIXe
siècle qu'il commence à sortir de la clandestinité, sans toute fois
être encore d'une grande visibilité pour les non initiés.
De nouveaux lieux de rencontre vont se développer à Paris à partir de
la seconde moitié du XIXe siècle.
:: LES
VESPASIENNES.
(Cf article consacré à l'histoire des vespasiennes ici.)
C'est
bien en 1841 que les premières vespasiennes font leur apparition
à Paris. D'abord appelées colonnes Rambuteau, du nom du Préfet de la
Seine qui décida de les installer dans la capitale, les vespasiennes
ont vite pris le qualificatif imagé de "tasses" par les homosexuels.
Deux ans après la
décision de les installer, Paris est dotée en 1843 de 478 tasses (il y
en aura 3500 en 1893) et les homosexuels parisiens en ont fait
immédiatement leur terrain de chasse préféré, non pas par goût des
mauvaises odeurs (la police appelait les homosexuels, les
renifleurs...) mais bien parce que l'endroit se prête parfaitement à
une rencontre anonyme, rapide, même si elle n'était pas toujours sans
danger. La police des m½urs veille également à ce qu'il n'y ait pas
d'outrages publics aux bonnes m½urs. A Paris, en 1872, une brigade
spécialisée dans la surveillance spécifique des pédérastes, et composée
de huit agents, est mise en place par le préfet de police. Les
arrestations d'homosexuels seront fréquentes. Celle du comte de Germiny
en 1876, à la sortie d'un urinoir, sera rendue publique par la presse.
Les grands boulevards dessinés par le baron Haussmann et dotés d'égouts
sont les premiers à être implantés en vespasiennes et la drague homo va
se fixer durant
de nombreuses années dans ce périmètre. Jusqu'alors, et depuis quelques
siècles, les homosexuels avaient une préférence pour les petites rues
mal éclairées et glauques du vieux Paris. Le Marais, la rue Beaubourg,
Montmartre, la Bastille étaient les quartiers les plus chauds pour les
rencontres clandestines. Avec le nouveau Paris dessiné par Haussmann,
la drague homosexuelle va se fixer autour des urinoirs des grands
boulevards, du Boulevard
Bonne Nouvelle, du boulevard
Saint Michel
ou des Champs Elysées (partie
boisée située entre la Concorde et l'Avenue Montaigne), mais aussi à la
pissotière
des halles qui ne désemplit pas 24 heures sur 24 ou à la
grande pissotière de la place
de la Bourse, à six loges, la plus fréquentée de Paris.
Vespasienne
parisienne au XIXe siècle.
::
LES PARCS.
Si le bois
de Boulogne et le bois
de Vincennes commencent à être des hauts lieux de
rencontres, il seront plutôt dévolus à la prostitution. Plus central,
le Jardin des Tuileries
est depuis plusieurs siècle déjà, le rendez-vous des homosexuels. De
jour comme de nuit, les rencontres y sont faciles et la nuit, elles
sont
souvent suivies d'ébats dans les taillis. Les dragueurs débordent même
jusque sous les arcades de la rue
de Rivoli qui sont très fréquentées. Autre lieu historique
de drague de la capitale, les Jardins
du Palais Royal restent
un endroit incontournable durant le XIXe siècle. Avec leurs galeries,
ils présentent l'avantage d'être abrités en cas de mauvais temps. L'Allée des Soupirs
(actuelle avenue Montaigne) était aussi fréquentée par les sodomites au
début du 19e siècle.
Mais
avec les
transformations du Baron Haussmann, Paris est un vaste chantier et la
géographie des lieux de rencontres va voir apparaitre bientôt de
nouveaux parcs, plus petits et plus nombreux : Square des Innocents, square
des Arts et Métiers, Parc
Monceau, place des Vosges...
Les quais de Seine, autres endroits verts de la capitale,
et
pas encore transformés en voie rapide, sont aussi des lieux de
promenade nocturne. Eux aussi, sont ponctués de nombreuses tasses : Quai Saint Michel, de la
Mégisserie, de Montebello, des Tuileries, de l'Horloge, des Invalides
et des Grands Augustins.
Le Jardin du Luxembourg, très fréquenté au XVIIIe siècle, semble un peu
délaissé au XIXe siècle.
:: LES PASSAGES COUVERTS.
Le
XIXème siècle voit apparaître de nouveaux lieux de drague pour les
homosexuels qui, s'ils restent encore très adeptes des valeurs sures,
savent aussi s'adapter à leur époque. Les nouveaux lieux à la mode des
parisiens, où ils peuvent faire leurs achats à l'abri des intempéries,
tout en traversant la ville d'un quartier à l'autre, sont les passages
couverts. Les premiers sont apparus à la fin du siècle précédent et les
derniers naîtront au milieu du XIXe siècle. Il y en aura près de 150 à
Paris, l'essentiel étant concentré sur la rive droite et à proximité
des grands boulevards. Dès le début, ils deviennent une cible
privilégiée des homosexuels pour des raisons simples de repérage. Il
est impossible à cette époque de draguer dans la rue sous peine d'être
exposé à de graves problèmes. Il faut donc des lieux identifiables
facilement dans leur périmètre et qui permettent une
concentration.
Comme il est impossible à l'époque de dresser une géographie des lieux
de drague accessibles à tous, c'est le bouche à oreille qui tient lieu
de guide. Et le petit monde homosexuel de l'époque sait que c'est dans
les passages couverts que les rencontres sont possible, même après la
fermeture des
boutiques. Malheureusement pour eux, la police et les commerçants
finiront par s'apercevoir du stratagème et à la fin du siècle, c'est
vers les nouveaux lieux de convivialité que sont les gares et les
bouches de métro que les homosexuels se dirigeront, abandonnant les
passages couverts. La mode était déjà cruelle...
Parmi les passages couverts les plus populaires auprès des homos de
l'époque :
- Le Passage Jouffroy
dans le 9e (entre le Boulevard Montmartre et la rue de la
Grange-Batelière.)
- Le Passage des Princes
dans le 2e (entre la rue le Boulevard des italiens et la rue de
Richelieu)
- Le Passage de l'Opéra (entre
le Boulevard des italiens et la rue Lepeletier : détruit en
1925)
- Le Passage des
Panoramas dans le 2e (entre la rue Montmartre et la rue
Saint Marc)
:: LES
LIEUX COMMERCIAUX. LES THEÂTRES.
De
longue date, les théâtres dotés de promenoirs sont des lieux de
rendez-vous très prisés des homosexuels qui s'y rencontrent dès la
fermeture des lumières de la salle. Les promenoirs permettent, comme
leur nom l'indique, de se promener à l'abri des regards, de se
rencontrer, voire de se frôler, de se toucher et plus si affinité... A
Paris, certaines salles sont plus propices que d'autres à ce genre
d'activité. A vrai dire, le type de représentation donnée sur la scène
n'a pas beaucoup d'influence sur la fréquentation des messieurs seuls.
Sur la quinzaine de salles parisiennes dotées de promenoirs, deux ou
trois sont véritablement des lieux de rendez-vous pour homosexuels.
Le promenoir des "Folies
Bergère" sera probablement le plus fréquenté. Avec
l'apparition des premières salles de cinéma au début du siècle
suivant, cette tradition persistera souvent dans les même salles de
théâtre qui se transformeront en cinéma. Le "Théâtre Parisiana",
27 boulevard Poissonnière, sera de ceux-là.
LES
BAINS TURCS.
Si
les saunas ne sont pas encore de mode, les bains publics et
particulièrement les bains turcs, avec la complicité de la vapeur,
pouvaient abriter des rencontres furtives. Certains établissements
embauchaient d'ailleurs des garçons de bains et des masseurs au
physique avantageux pour plaire à cette clientèle très assidue. "Le Bain des Colonnes",
3 rue des Colonnes dans le 2e arrondissement, avait cette réputation. "Les Bains de Penthièvre",
30 rue de Penthièvre, feront l'objet d'une descente de police le 8
avril 1891 et la presse parlera pour la première fois de ce qui se
passe dans certains établissements de bain. Dix-huit homosexuels, dont
le patron et deux employés de l'établissement, seront arrêtés pour
outrage public à la pudeur. S'en suivra un procès confus dès le 2 mai
1991 devant la Chambre Correctionnelle du Tribunal de Paris.
L'établissement pourra réouvrir.
LES
BARS,
AUBERGES, CABARETS ET CAFES CONCERTS.
Si
les premiers établissements commerciaux fréquentés uniquement par des
homosexuels sont apparus à Paris dès le XVIIe siècle, c'est à la fin
du XIXe
siècle qu'ils commencent peu à peu à sortir de leur totale
clandestinité et surtout de l'univers de la prostitution où ils étaient
confinés. S'ils reste à Paris, de très nombreux petits bars et auberges
glauques essentiellement dans le quartier Bastille, dans le Marais,
près de la rue Beaubourg et à Montmartre, certains établissements
commencent à avoir une réputation moins sulfureuse. Ce
qui va les caractériser c'est leur visibilité, leur multiplicité et
leur concentration dans un quartier. Le premier quartier homo de Paris,
à la fin du 19e siècle, est le 9ème arrondissement (et un peu le 2ème
arrondissement) qui regroupe près d'une quarantaine d'établissements
sur la centaine recensée dans la capitale. Dans ce quartier, s'il reste
encore
de nombreuses maisons closes clandestines "de garçons", on voit aussi
apparaître des
cafés, des établissements de bains, des cabarets, des restaurants.
Autre quartier qui va se spécialiser, lui, dans les cabarets, les
cafés concerts et les bars lesbiens, c'est Montmartre.
La
naissance
des premiers cabarets à la fin du XIXe siècle sur la butte Montmartre,
mais aussi des premiers cafés concerts, va bouleverser plusieurs
siècles de tradition de la rencontre homo. Désormais, ces endroits
seront fréquentés par les messieurs amateurs de chanson populaire mais
aussi de jolis garçons. Certains artistes à cheval sur les deux siècles
vont avoir un public très orienté. Les homosexuels de l'époque, qui
avaient déjà leurs égéries féminines, les suivront dans tous leurs
concerts. C'est ainsi que Mistinguett aura un public très "gay" qui la
suivra dans ses tours de chant au nouveau Cabaret "L'Eldorado" puis au "Moulin
Rouge".
Yvette Guilbert avec son succès très ambigu "Madame Arthur" aura aussi
des paroliers et un public homosexuel. C'est un des premier cabaret
parisien qui la lancera : "le
Divan Japonais",
au 79 rue des Martyr, et qui deviendra plus tard le temple des nuits
travesties de Paris (futur Madame Arthur). 1895 c'est aussi les débuts
d'un artiste exubérant venu de Marseille mais consacré au "Concert Parisien"
en 1895 : Mayol.
Concernant les bars lesbiens, une des figures du
Paris homosexuel du début du siècle prochain tient un petit
cabaret
fréquenté par les homosexuels des deux sexes : "La Souris"
est
un petit cabaret-restaurant bar situé au 29 rue Henri Monnier (à
l'époque Rue
Breda) et qui gagne sa respectabilité en étant sensé être un bordel
classique. Il y a bien quelques prostituées qui louent leurs services à
quelques hommes égarés mais l'essentiel des filles présentes n'a aucun
goût pour la gent masculine et la plupart des messieurs sensés être là
pour rencontrer des filles préfèrent largement laisser les filles entre
elles. La
patronne de la Souris est une lesbienne du nom de Madame Palmyre (cf : Madame Palmyre). Elle
ouvrira par la suite d'autres établissements plus
affirmés.
Certains bars de filles et pour les filles laisseront une trace dans la
littérature de l'époque,
comme "Le Rat Mort",
dont parle Emile Goudeau dans un article du Courrier Français (24
octobre 1886), Virmaître en 1898 dans Mlles Saturne mais aussi Colette,
qui fréquentait l'établissement, dans "les Vrilles de la Vigne".
Initialement rendez-vous des artistes, le Rat Mort fut peu à peu
investi par les femmes qui aiment les femmes. Comme la plupart des
établissements homosexuels et clandestins de l'époque, il comprenait
deux entrées, la principale au 7 place Pigalle et une sortie discrète
au 16 rue Frochot. "Le
Tambourin", autre café, a connu la même évolution que
celle du Rat Mort. Une autre figure de la nuit, Madame Armande Brazier,
dite Amandine, tenait,
elle, la "Brasserie du
Hanneton"
au 75 rue Pigalle, une des premières maisons fréquentée aussi par les
lesbiennes. "Le Hanneton" changera de nom au début du siècle suivant
pour s'appeler "La
Coccinelle". Enfin, tout près de la place d'Anvers, "Le Scarabée" était fréquenté par
les travestis.
En considérant le
nombre d'établissements
lesbiens de l'époque, on
serait tenté de croire que la société était plus tolérante envers
l'homosexualité féminine que masculine. Il est un fait que la lesbienne
fait partie du fantasme de beaucoup d'hommes hétérosexuels, à condition
évidemment qu'elle ne refuse pas leurs avances. Parmi les nombreux
bordels de l'époque, rien ne pouvait distinguer le bar lesbien des bars
de filles destinées à la libido masculine. Mais la règlementation de
l'époque interdisait aux femmes de fréquenter ces établissements en
tant que clientes. Seuls les hommes étaient autorisés à fréquenter les
bordels et bars de prostitution. Cette règlementation était facile
à
contourner.
Il faut dire que les noms utilisés par les établissements lesbiens (la
Souris, le Rat Mort, le Hanneton...) n'incitait pas les messieurs
amateurs de filles à s'y rendre. En revanche quelques messieurs
homosexuels admis dans l'établissement pouvaient apporter la caution
masculine nécessaire.
Si
on est encore loin de l'effervescence du Paris Gay des années 20, le
terrain est maintenant favorable à l'éclosion de nombreux endroits de
fête et de divertissement pour les homos. Le début du siècle qui
s'annonce verra une première floraison très conséquente
d'établissements.
Théâtre
Parisiana Boulevard Poissonnière.
Rencontres
au jardin des Tuileries
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- Pierre
HAHN, Nos
ancêtres les pervers, La vie des homosexuels sous le second empire,
H&O Editions, Béziers, 2006
- Didier ERIBON, Dictionnaire
des Cultures Gays et
Lesbiennes, Larousse, 2003
- Florence TAMAGNE, Revue
d'Histoire moderne et contemporaine, Ecrire l'histoire des
homosexualités en Europe : XIXe - XXe siècles. tome 4,
Editions Belin, 2006
- Jean-Louis CHARDANS, British group
of sexological research, History and antology of homosexuality,
histoire et anthologie de l'homosexualité, Centre d'Etudes
et de Documentations Pédagogiques Paris, 1970
- Pierre DELCOURT,
Le Vice à
Paris, Edition A. Piaget, Paris 1887.
- Guide
des Plaisirs à Paris, Le Jour, la Nuit, 1890-1900,
Editions Photographiques
- Benoit NOEL, Jean HOURNON, Parisiana, la capitale
des peintres du XIXe siècle, Les Presses franciliennes.
- Iconographie : Collection privée de Cartes Postales.
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