Si le quartier du Marais, coté place
des
Vosges,
avec ses nombreux hôtels particuliers, avait
su séduire la bourgeoisie,
sa façade ouest entre Beaubourg et le
quartier juif de la rue des
Rosiers, était au début des années 80, dans
un grand état d'abandon.
Les maisons y étaient insalubres, les rues
mal éclairées et
dangeureuses le soir, les commerces quasi
inexistants à part quelques
magasins de gros. Le faible niveau des
loyers et l'ouverture du Centre
Pompidou à Beaubourg, vont inciter comme aux
Halles, de nombreux jeunes
à s'installer dans le quartier pour y vivre,
mais aussi pour y créer
des bars, des restaurants, des
établissements festifs, mais
curieusement aucune discothèque.
DEBUT
DES
ANNEES 80.
Les bars.
En décembre 1978 (cf années 70), un premier
bar gay d'un nouveau genre
avait ouvert ses portes rue du Plâtre : "Le
Village".
Ses tarifs bas, son ambiance bon enfant et
populaire avaient attiré
dans le quartier de nombreux homos fuyant la
rue Sainte-Anne jugée
élitiste et chère. "Le Village" va avoir un
tel succès, que
l'établissement va être trop petit pour
accueillir tous les clients,
condamnés à consommer dans la rue par tout
temps. Son propriétaire,
Joël Leroux, va ouvrir un second
établissement à proximité en juillet
1980, "Le
Duplex",
25 rue Michel Leconte,
qui va connaître, mais sur une plus belle
surface avec mezzanine, un
même succès. Les quelques rares cafés
du
quartier, tenus par de vieux
parisiens, vont voir soudainement leur
clientèle se métamorphoser. Les
joueurs de cartes et vieux piliers de zinc
amateurs de rouge qui tache,
vont se voir envahis par une clientèle gay,
jeune et branchée. Le petit
café-tabac "le
Reinitas",
32
rue du Temple, va devoir s'adapter à cette
nouvelle clientèle avec un
peu de réticence au début, mais au fur et à
mesure que le tiroir caisse
se remplissait, avec de plus en plus de
bonne volonté. En l'espace de
quelques années, le quartier va connaître un
développement sans
précédent. De nombreux bars à l'ambiance
très différente vont ouvrir. "Le
10 du Perche"
ouvre en novembre 1979. Dès le début il est
le premier cruising bar du
quartier . Il va d'ailleurs rapidement
changer d'enseigne pour
s'appeler "Le
Chantier"
puis "Le
Sling",
nom plus conforme à son orientation (cf
Les
cruising bars).
"Le
Bar de l'Hôtel Central",
plus communément appelé
"Le Central" est ouvert en
septembre 1980 par Maurice
McGarth. L'établissement propose quelques
chambres aux
étages et le rez-de-chaussé ressemble à un
café de quartier très vite
fréquenté par une clientèle moustachue et
virile. "Le
Piano Zinc" se
fait entendre en juin 1981 (cf "Les
cabarets" ci-dessous). "Le
Swing"
ouvre au Printemps 1983 à l'entrée de la rue
des Rosiers. Son ouverture
va créer quelque émoi dans la communauté
juive qui occupe
historiquement la rue des rosiers depuis de
nombreux siècles.
Homosexualité et religion font rarement bon
ménage. De jeunes juifs
vont manifester contre cette ouverture d'un
bar gay en lieu et place
d'un café-tabac juif. Mais la tension va
s'apaiser. Après l'attentat de
la rue des Rosiers au restaurant Jo
Goldenberg, les deux communautés,
qui ont en commun derrière elles des siècles
de persécution, vont se
rencontrer et trouver une entente.
Autre bar cuir, "Le
Fire
Island", va ouvrir rue Geoffroy
l'Angevin, il deviendra "le
Mic Man".
Ce qui fera l'originalité des bars gay du
Marais par rapport aux bars
homos des années 70, c'est leur coté moins
élitiste, avec des
consommations à prix réduit et l'absence de
sélection à l'entrée. Mais
le fait d'ouvrir aussi dans la journée, et
plus uniquement la nuit, va
aussi transformer l'atmosphère en la rendant
plus conviviale.
Les
restaurants.
Comme
aux
Halles, les restaurants gay du Marais vont
se multiplier. Ils
sont 3 en 1980, 17 en 1981 et une trentaine
en 1985. Les ambiances
peuvent y être très différentes d'un
établissement à l'autre. Si
certains ont une clientèle à 95 % masculine,
la plupart favorisent le
mix homo-hétéro, à condition évidemment que
les clients hétéros fassent
preuve de la plus élémentaire tolérance
envers les homos et ne se
choquent pas au premier bisou ou geste de
tendresse entre deux hommes,
ce qui n'est pas encore évident dans les
années 80. Si les bars
permettent la drague et la rencontre entre
homosexuels, les restaurants
gay du Marais vont participer davantage à la
visibilité de
l'homosexualité envers le reste de la
population, même si le quartier
est majoritairement fréquenté par des
gens ouverts d'esprit
qui
s'y sentent naturellement à l'aise. Certains
restaurants sont
d'ailleurs tenus par des couples
hétérosexuels qui vont faire preuve
d'une grande tolérance envers ces petits
couples de garçons et parfois
de filles qui fréquentent le quartier.
Certains restaurants existaient
déjà avant la nouvelle orientation du
quartier comme le restaurant
italien "Ciao",
ouvert en 1976
et qui va très vite s'adapter à sa nouvelle
clientèle dans les années
80. D'autres vont être ouverts par des
couples homos, majoritairement
des
garçons, mais contrairement aux restaurants
gay des années 70 qui se
cachaient encore derrière une porte blindée
équipée d'un judas, les
établissements du Marais sont ouverts sur la
rue et accueillent leurs
clients dès l'heure du déjeuner, ce qui
n'était pas le cas à l'époque
de la rue Sainte Anne.
Dans
le
Marais, la nouveauté des années 80 va être
l'ouverture de
coffee-shops. A mi-chemin entre le restaurant et le
salon de thé, le
coffee-shop propose une petite restauration à toute
heure. Salades
composées, club-sandwiches, croques, assiettes
froides, plat du jour
sont proposés de 12h à tard le soir. On
y trouve aussi
des pâtisseries maison,
des cocktails,
des jus de fruits frais, des expos, des
vidéos-clips, des journaux et
une ambiance décontractée. Les
gays, qui ouvrent ces
établissements à
Paris, se sont inspirés des coffee-shops d'Amsterdam
(le shit en moins)
ou de Manhattan. En
octobre
1981, les propriétaires du bar du Central
vont ouvrir juste en face de leur établissement "Le
Coffee-Shop" qui
va être célèbre pour ses brunchs du dimanche. Un peu
plus haut dans la
rue Sainte Croix de la Bretonnerie, "l'Aviatic
va proposer le même type de prestations dans un
décor très original
pour l'époque. Sur trois niveaux (un petit sous-sol,
un rez de chaussée
très haut de plafond et une mezzanine) dont les murs
sont recouverts de
tôles ondulées, le décor de l'aviatic est assez
particulier : Au lieu
d'être cachée, l'aération est mise en valeur par
d'énormes tuyaux
(style Beaubourg), des téléviseurs retransmettent
dans tout
l'établissement des vidéo-clips, le mobilier est en
aluminium et
l'ambiance sonore assez appuyée. L'Aviatic laissera
la place dans les
années 90 au Mixer Bar.
Le
propriétaire
de l'Aviatic ouvrira aussi,
dans le même style, "le
Café
Astaire", 147 rue Saint Martin.
Autre coffee-shop, "Le
VO" est ouvert
par les patrons du Swing au 33 rue
Montmorency.
Certains restaurants du quartier, bien que
plus
classiques, vont marquer la mémoire
collective. "Le
Gai Moulin"
ouvre en 1981, à sa première adresse, avec
une bonne cuisine française
à petits prix. "Le
Fond
de Cour",
comme son nom l'indique, ouvre au fond d'une
cour juste à coté du
Coffee-Shop. La cuisine y est plutôt
bourgeoise et les prix plus
élevés. "Les
Mauvais
Garçons" va être aussi un
restaurant historique du
quartier en traversant les époques.
La
rue
Vieille du Temple, au début des
années 80... en devenir.
Le
Village,
le premier bar gay du quartier
Les
cabarets.
En juin 1981, un cabaret d'un nouveau genre va
ouvrir rue des
Blancs-Manteaux. Jürgen
Pletsch
ouvre le "Piano
Zinc".
Ici, pas de vedette attitrée, chacun peut venir avec
sa chanson et se
produire en public. Au sous-sol, un piano droit sert
à accompagner les
artistes. Les consommations ne sont pas plus chères
que dans un bar
ordinaire. La clientèle est à 90 % gay et masculine
mais les filles,
lesbiennes ou non, sont aussi les bienvenues.
L'établissement permettra
à de nombreux talents de se faire connaître et
d'entamer une carrière
artistique. La chorale gay "Ch½urs Accord" va naître
ici en 1982 à
l'initiative de Jürgen Pletsch et Gérard Vapereau.
Cette chorale va
engendrer plus tard la troupe des "Caramels Fous".
Autre fidèle du
"Piano Zinc" Jean Philippe Maran y créera son
personnage "Charlène
Duval", ancienne chanteuse sur le retour qui
interprète en direct de
vieilles chansons françaises ou espagnoles. Denis
d'Arcangelo, le
créateur de "Madame Raymonde", truculente chanteuse
des rues, passera
aussi par la scène du Piano Zinc.
Dans la pure tradition du cabaret de travestis, "Le
Piano dans la
Cuisine" ouvre
rue de la Verrerie en 1982 avec son spectacle "Le
Piano Show". La salle
est minuscule mais on y dîne plutôt bien pour des
prix raisonnables et
le spectacle enchaîne les playbacks et les parodies.
La troupe est
constituée de professionnels dont certains ont
accumulé de la bouteille
(dans tous les sens du terme). Momo d'Amour, Rita
L'Amphore, Bruno
& Georges Ross, Mami Blues, Fernando Doigts de
Fées,
Dolly
Doll, Dan Duchet, Fifi se transforment et incarnent
toutes les vedettes
de l'époque et du passé.
La
Chorale Ch½ur Accord
Ambiance
au Piano Zinc
FIN
DES
ANNES 80.
A partir du milieu des années 80, à
Paris
comme
partout dans le monde, le SIDA fait des
ravages dans la communauté gay.
Il n'existe aucun traitement, et lorsqu'on
apprend sa séropositivité,
on sait qu'on est condamné à mourir à court
terme. Seule la prévention
permet de limiter la propagation du
virus. Au
début, les
établissements
festifs ne veulent pas entendre parler de
cette maladie qui angoisse
tout le monde et présente un sérieux frein à
l'envie de faire la fête.
Seuls quelques établissements du Marais
décideront la mise en
distribution de plaquettes d'information et
de préservatifs, malgré
l'interdiction à l'époque de diffuser ce
type de matériel. Il feront
d'ailleurs l'objet, pour cela, de
tracasseries administratives et
d'amendes. Dès
1985,
le "Piano
Zinc" et "le Duplex"
seront les premiers bars à distribuer les
plaquettes d'information de
Aides. Même si elle ne se définit pas comme
une association
homosexuelle, Aides organisera ses premières
réunions parisiennes au
Duplex, dont le patron, Joël Leroux, se
mobilisera très vite en faveur
de la lutte anti sida. A peine une dizaine
de bars parisiens suivront
cette voie dans les années 80, mais le
Marais sera assez dynamique dans
cette lutte. "Le
Bar du
Central"
sera aussi pionnier dans ce domaine, suivi
de quelques autres
établissements du quartier. Ils se
regrouperont pour obtenir du
Ministère de la Santé l'autorisation de
distribuer des préservatifs.
Ces commerçants militants et responsables
créeront en 1990 le SNEG,
premier syndicat des entreprises gaies.
Les conséquences de la maladie vont
avoir des répercussions très négatives sur
le développement des
établissements gay. Beaucoup de patrons de
bars, atteint par la maladie
vont fermer leur établissement, d'autres
vont voir leur clientèle se
réduire et surtout l'ambiance devenir
sinistre. Si la première moitié
des années 80 avait vu éclore des dizaines
de nouveaux établissements
dans le Marais, durant la seconde moitié de
la décennie, les fermetures
seront plus nombreuses que les ouvertures. Les quelques ouvertures : "Le
Hollywood
Bar" va remplacer "le Village" au
12 rue du Plâtre.
L'établissement accueille une clientèle
assez variée de tous les âges. "Le
Quetzal"
est
ouvert
en avril 1987 par les anciens propriétaires
du restaurant le Gai
Moulin, André et Bernard. Sa déco est
contemporaine et l'établissement
propose
deux bars. Il ouvre dès 9h le matin et
jusque 2h du matin. Dans la
journée, on peut non seulement y prendre un
verre mais aussi des
sandwichs. Il est animé par un DJ et offrira
même durant quelques
années une petite backroom à l'étage, juste
à coté des toilettes. "Le
Mic-Man",
bar-video ouvre remplace le "Fire Island" en
1987. Il proposera une
petite back-room dans son sous-sol. "Le
Subway"ouvre
en 1989. C'est le premier bar à s'ouvrir
dans la rue Sainte Croix de la
Bretonnerie qui deviendra plus tard la
colonne vertébrale du Marais gay.
LES
AUTRES COMMERCES.
Ce qui va caractériser aussi la structure
commerciale du Marais, c'est qu'en dehors des bars
et des restaurants
qui s'y installent, le fait qu'ils soient aussi
ouverts le jour, va
attirer à toute heure dans le quartier une
population qui ne demande
qu'a consommer, mais surtout à y trouver des
produits spécifiques en
adéquation avec leurs modes de vie.
En août 1983, Jean-Pierre Meyer-Genton, qui tenait
depuis 1980 la seule
librairie
spécialisée dans la littérature homo à Paris, située
rue
Simar
dans
le
18e, va décider de la transférer dans le Marais. La
librairie "Les
Mots à la Bouche" s'installe
donc rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Elle
propose au
rez-de-chaussée tous les livres qui ont un rapport
avec la thématique
gai mais aussi tous les auteur-e-s homosexuel-le-s.
Le sous-sol est
plus
spécialisé dans la fantasmatique gay, en cinéma ou
en peinture par
exemple.
La librairie Les Mots à la Bouche va être la
première pierre d'une
offre culturelle du quartier et va s'imposer sur ce
créneau. Dans les
années 80, il était encore très difficile de se
procurer des livres sur
l'homosexualité, la plupart des bibliothèques n'en
possédaient pas, les
librairies classiques n'avaient aucun rayon
spécialisé sur ce thème et
ne vendaient ce type de littérature que sur
commande, pour ceux qui
avaient le courage de la demander.
Autre locomotive culturelle du quartier et plus
particulièrement de la
rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, le théâtre du "Point
Virgule"
n'est
pas ciblé spécifiquement sur la clientèle gay. Il
est repris à la
fin des années 70 par Christian Varini, qui va
lancer sur sa scène de
nombreux artistes et de nombreux spectacles dont la
sensibilité sera
souvent en
adéquation avec le quartier. C'est sur la scène du
Point Virgule que
naîtront plus
tard
Madame Sarfati d'Elie Kakou,
Madame H, la
Présidente
d'Homosexualité et Bourgeoisie ou Yvette Leglaire,
le dernier mythe
vivant de la chanson française, un peu mité et
tellement imité !
Peu à peu, le quartier va se doter aussi de
boutiques qu'on ne trouve
nul part ailleurs : gadgets et décoration
d'intérieur pour appartements
branchés, mode et accessoires, galeries d'art,
coiffeurs pour hommes,
sous-vêtements
masculins, accessoires érotiques, etc...
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gay cultes des
années 80
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Gay :
-
Didier ERIBON, Dictionnaire
des Cultures Gays et
Lesbiennes, Larousse, 2003
- Florence TAMAGNE, Revue
d'Histoire
moderne et contemporaine, Ecrire l'histoire des
homosexualités en Europe : XIXe - XXe siècles.
tome 4,
Editions Belin, 2006
- Jean-Louis CHARDANS, British
group
of sexological research, History and antology of
homosexuality,
histoire et anthologie de l'homosexualité,
Centre d'Etudes
et de Documentations Pédagogiques Paris, 1970
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Noir - Les Homosexuels en France depuis
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Nuit,
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Bertholon & Xavier de
Vilmorin
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de la Nuit - Hachette - 1982
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Pied Hebdo - années 80, 81, 82, 83, 84, 85,
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Spartacus
- Brüno Gmûnder - années 80
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