DEBUT DES
ANNEES 70.
La réussite de Fabrice Emaer avec ses établissements de la rue Sainte
Anne va faire des émules et le m2 va se vendre très cher dans cette rue
où de nombreux bars et discothèques vont ouvrir et connaître le succès
dans les années 70. La locomotive de la rue reste, depuis 1968 (cf
années 60), "le Sept",
dirigé
par Fabrice Emaer.
La
formule ne change pas : le rez-de-chaussée
accueille le restaurant bon chic, bon genre où les stars de la télé et
des médias ont leurs tables réservées. On y croise Iggy Pop, Michel
Guy, le ministre de la culture de l'époque, Copi, Patrick Juvet, Simone
Signoret, Yves Saint Laurent, Andy Warhol, Grace Jones, Diana Ross...
Le sous-sol résonne
aux sons du disco, le nouveau genre musical qui va s'imposer durant la
décennie. La cave voutée est habillées de néons multicolores qui
composent
de subtils jeux de lumière au dessus de la piste. Les murs sont
recouverts de miroirs où l'on peut se regarder danser. La jeunesse
parisienne, gay et masculine, n'a plus le
monopole des lieux puisque les homos y viennent maintenant de la France
entière et de tous les continents. La sélection à l'entrée y est de
plus en plus drastique et les prix de plus en plus dissuasifs. Tout
cela n'empêche pas l'endroit d'être bondé toutes les nuits et de rester le
club le plus branché de
France. Guy Cuevas est aux platines.
Gérald
Nanty, le roi des nuits de Saint
Germain, après avoir ouvert un
nouveau club dans ce quartier en 1970, "le Nuage", va décider aussi de
s'installer rue Sainte Anne. En 1972, il s'installe au 13 rue
Sainte-Anne, à deux pas du Sept, à la place d'un vieux bar, le "Ruy
Blas", et y ouvre "le
Colony"
sur 400 m2. Le financement est assuré par Roger Peyreffite. Le Colony,
avec son décor noir et or, va être le concurrent le plus sérieux du
Sept. La formule y est la même : restaurant pour la Jet Set au
rez-de-Chaussée et discothèque jeune et masculine dans les caves. Le
restaurant aura ses clients fidèles : Jacques Chazot, Alice Sapritch,
Thierry le Luron, Jacques Charon, Yves Mourousi, Françoise Sagan... Le
Colony va
connaître aussi un succès considérable dans tout l'hexagone et même au
delà. S'il est difficile pour les jeunes de fréquenter de nombreuses
discothèques dans la même soirée, en raison des tarifs d'entrée très
élevés, une soirée rue Sainte Anne passe à la fois par le Sept et le
Colony et ces deux noms vont rester gravés dans la mémoire collective
de toute une génération d'homosexuels.
Après
le Colony, Gérald
Nanty, revenant d'une visite à New-York avec Roger Peyreffite, où ils
ont
découvert la boite "L'Anvil" dans le Bronx, décide d'inaugurer un
nouveau concept à Paris : Au revoir les décors précieux, les tentures,
les dorures, bonjour les murs de brique, les meubles
minimalistes
en ferraille et l'ambiance hyper virile. Mais la véritable innovation,
c'est qu'on n'y vient pas que pour boire mais aussi pour
"consommer du sexe" avec les autres clients. En 1973, c'est l'ouverture
du "Bronx",
juste à coté du Colony au 11 rue Saint Anne, premier bar gay avec
backroom de la capitale. A partir de cette date, le phénomène va se
multiplier à Paris, à Lyon et Marseille puis dans toutes les grandes
villes de France. Le Bronx de la rue Sainte Anne est interdit aux
filles. La déco ressemble à celle d'un garage. Un comptoir doté d'un
écran avec vidéos pornos à gauche en entrant, une zone un peu plus
sombre à droite et au fond, une arrière salle un peu plus chaude. La
musique y est un peu plus virile que dans les autres établissements de
la rue. Le Bronx va faire couler beaucoup plus d'encre que de sperme et
va être diabolisé par tous ceux qu'on ne laissera pas rentrer ou qui
n'auront pas le courage d'y voir ce qui s'y passe réellement. La
légende qui va entourer ce lieu va largement dépasser la réalité.
Effectivement, les garçons y viennent pour baiser, mais la règle reste
toujours le respect de l'autre et celui qui veut juste boire un verre
n'est pas violé de force. Dans la presse et les récits souvenirs qui
seront publiés des années plus tard sur cet établissement, on pourra y
lire tellement de bêtises, que leurs auteurs, soit n'y ont jamais mis
les pieds, soit ont laissé leurs fantasmes s'exprimer.
Les autres
établissements de la rue ont une clientèle plus populaire et plus sage.
"Le
Pimm's", appartenant aussi à Fabrice Emaer, devient plus
bar que
discothèque et complète l'offre du Sept. "Le Piano Bar",
tenu par l'ex hôtesse de l'air Isolde Chrétien, offre une ambiance plus
tamisée : moquette et sièges de velours noir, murs tendus de tissus
tabac, animation au piano. "Chez
Sidonie Baba" c'est plus calme encore avec un piano qui ne
sert à plus rien. Rue Chabanais, le bar "le César", va
innover en ouvrant le dimanche dès 16h, mais la clientèle du quartier
est plutôt habituée aux horaires nocturnes. "Le Zanzi Bar"
est un ordinaire café de quartier dans la journée et le pied à terre
des
prostitués des deux sexes, des travestis et des noctambules la
nuit.
L'ouverture
de ces nombreux
établissements rue Sainte Anne
a eu quelques conséquences sur l'ambiance du quartier dans les années
70. Si à l'époque, il n'est pas encore envahi par les restaurants
japonais qui n'étaient pas encore à la mode, il s'était endormi depuis
la fermeture des bordels dont les plus célèbres de Paris se trouvaient
avant-guerre rue Chabanais. La rue Sainte-Anne était une rue calme avec
quelques banques d'affaires, une caserne de pompiers et des bureaux.
Dans les années 70, elle va conserver cette apparence dans la journée,
car à cette époque, les homosexuels ne sortent que la nuit tombée. Une
fois le soleil couché, quelques ombres se faufilent dans les quelques
rares bars qui ouvrent vers 20h-21h et dans les restaurants isolés de
la rue par
des volets ou de lourds rideaux. Ce n'est qu'après 23h que les premiers
clients du Sept ou du Colony tentent leur chance à l'entrée. On
commence aussi à apercevoir quelques beaux garçons qui arpentent à pas
mesurés les trottoirs de la rue entre le boulevard de l'Opéra et la rue
Thérèse. Ils tapinent sagement, sans provocation et scrutent plus
particulièrement les voitures de luxe qui commencent à remonter la rue.
Plus la nuit avance, plus la rue s'anime. A 3h du matin, les nombreux
taxis venus récupérer les clients à la sortie des boites provoquent des
embouteillages dans la rue envahie par les voitures. On s'interpelle,
on klaxonne, on claque les portières. Les portes des boites laissent
échapper des effluves de "Supernature" de Cerrone. Les gigolos
deviennent plus entreprenants et se disputent les quelques mètres de
trottoirs étroits. La rue Sainte-Anne ne va pas désemplir jusqu'au
petit matin lorsque les balayeurs vont lui redonner l'apparence d'une
rue sage où il ne s'est rien passé. Contrairement au Marais qui, vingt
ans plus tard va vivre 24h sur 24, la rue Sainte-Anne dans la journée,
ne laisse rien soupçonner de ce qu'elle est la nuit. Les établissements
n'ouvrent pas avant 22h et ne possèdent, pour la plupart, aucune
enseigne, aucune
vitrine. Le quidam qui traverse la rue dans la journée l'imagine
déserte de tout commerce.
A proximité de la
rue Sainte-Anne, il existe
d'autres établissements. Parmi les restaurants, les plus
fréquentés sont : "Le
Vagabond", rue Thérèse, mais aussi "le Bec Fin",
dans la même rue. En 1979, "le
Brooklyn" ouvre au 11 bis rue Sainte Anne,
et contrairement aux restaurants de nuit de la rue, il propose une
cuisine américaine à des prix abordables dès 19h.
Un peu plus loin, deux autres discothèques vont aussi connaître un
grand succès durant les années 70. "Le
Club 18",
18 rue du Beaujolais, caché derrière le Palais Royal, dans une cave du
XVIe siècle, est un peu plus
abordable que les boites de la rue Sainte Anne. En plus, à cette
époque, il est tenu par un patron adorable et attentionné avec sa
clientèle qu'il accueille personnellement à la porte, à qui il offre
des chocolats ou des chamalows. La clientèle est jeune, étudiante et
exclusivement masculine, la musique d'excellente qualité et l'ambiance
toujours très festive. L'autre discothèque célèbre du quartier,
s'appelle "le
Scaramouche",
tenu par Michel et Jean-Claude. Cette boite, ouverte en 1972, a aussi
ses adeptes, elle
propose régulièrement des spectacles de travestis et chaque soir la
danse du tapis suivie d'une série de slows. L'ambiance y est beaucoup
plus décontractée et
populaire que dans les boites précédentes. Contrairement aux boites de
la rue Sainte Anne, on n'y écoute pas que du disco mais aussi un peu de
variété française. Dalida y fait toujours un malheur sur la grande
piste de danse. Enfin, "le Brignolet"
avec sa déco de velours noir et de miroirs, propose aussi un restaurant
nocturne décoré par le peintre Jean Moulin.
FIN DES
ANNEES 70.
Le succès de la rue Sainte Anne dans les années 70 est un phénomène que
n'avait jamais connu la capitale en si peu de temps. Si, à travers les
époques, différents quartiers de Paris avaient eu la faveur des gays,
le 9ème, puis Montmartre, puis Montparnasse, puis Saint Germain, cela
s'était étalé imperceptiblement de la fin du 19ème siècle à la fin des
années 60. De 1968 à 1973, la rue Sainte Anne avait vidé Saint Germain
en très peu de temps. Contrairement aux autres quartiers où les
établissements homosexuels restaient toujours minoritaires aux milieu
des établissements hétéros, rue Sainte-Anne, c'était le contraire. La
faible étendue géographique de cette zone rose accentuait aussi la
concentration des gays et on a parlé, à l'époque, de ghetto homo. Il
est à noter que les lesbiennes étaient quasiment absentes dans cet
espace alors
qu'elles y possédaient leurs cabarets avant guerre et dans les années
50. Ce n'est qu'en 1979, que le bar lesbien "La Champmeslé" ouvre
rue Chabanais. On peut considérer que la rue Sainte Anne a été le
premier véritable quartier gay de Paris, avant le Marais, même si
l'ambiance y était très différente. Mais ce ghetto avait aussi ses
nombreux détracteurs dans la communauté gay (comme le Marais
aujourd'hui). Les premiers d'entre eux étaient les militants issus des
associations révolutionnaires de l'après 68. Ils considéraient, non
sans une part de vérité, que la misère sexuelle dont étaient condamnés
beaucoup d'homos en raison de l'impossibilité pour eux de draguer dans
les
lieux grand public, était exploitée par les patrons de boites. Les
tarifs et droits d'entrée de ces boites en faisaient des lieux
élitistes. Les garçons issus des classes populaires ne pouvaient s'y
rendre sans sacrifier une grande part de leurs revenus ou sans jouer du
charme de leur jeunesse. La rue Sainte Anne avait catalysé tous les
reproches des militants du FHAR ou des GLH contre ce monde capitaliste
triomphant et les patrons du Colony ou du Sept étaient assimilés aux
exploiteurs des temps modernes, vendant cher la possibilité de
rencontres sécurisées, impossible dans les boites hétéros de l'époque
et dangereuses à l'extérieur.
Mais c'est de l'intérieur que la "bulle" de la rue Sainte Anne va
exploser. A partir de 1978, Fabrice Emaer décide d'ouvrir la plus
grande boite de Paris, "le Palace" (cf ci dessous.). Le Palace va
inaugurer un nouveau concept et surtout éloigner, à lui seul, les gays
de la rue Sainte Anne pour la rue du Faubourg Montmartre. Fabrice Emaer
va céder le Sept qui ne l'amuse plus et la clientèle va le suivre.
Parallèlement, dans les années qui suivent, de nouveaux restaurants (cf
ci-dessous), et de nouveaux bars aux tarifs modérés,
ouvrent dans le quartier des Halles rénové et derrière le Centre
Pompidou, inauguré en 1977. Le quartier du Marais se réveille. La
conjonction de ces événements va vider littéralement la rue Sainte
Anne en l'espace de 2 ans. Le Colony et le Bronx vont être cédés aussi.
La seule nouveauté sera l'ouverture par les anciens patrons du
Scaramouche de la discothèque "les
Adelphes", mais l'expérience sera de courte durée. Plus
aucune formule ne va fonctionner. Le repreneur du Colony, va
tenter de proposer des concerts de rock. Dans toutes les boites et bars
de la rue, on va revoir la politique tarifaire, changer les décors,
changer les noms... Rien n'y fera. Les gays ont décidé de quitter
définitivement la rue Sainte Anne qui ne représentera plus rien pour
eux au milieu des années 80. Le Piano Bar et le
sauna le Tilt seront les seuls à survivre. Mais les endroits mythiques
des années
70 vont être "brûlés" par ceux qui les avaient adorés. Les volets vont
rester clos longtemps avant qu'une nouvelle communauté ne s'empare de
la rue, celle des japonais qui vont y ouvrir dans les années 90 de
nombreux restaurants.
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- Didier ERIBON, Dictionnaire
des Cultures Gays et
Lesbiennes, Larousse, 2003
- Florence TAMAGNE, Revue
d'Histoire moderne et contemporaine, Ecrire l'histoire des
homosexualités en Europe : XIXe - XXe siècles. tome 4,
Editions Belin, 2006
- Jean-Louis CHARDANS, British group
of sexological research, History and antology of homosexuality,
histoire et anthologie de l'homosexualité, Centre d'Etudes
et de Documentations Pédagogiques Paris, 1970
- Iconographie : Collection privée de Cartes Postales
- Frédéric MARTEL, Le
Rose et le
Noir - Les Homosexuels en France depuis 1968.
- Elisabeth Quin - Bel
de Nuit,
Gerald Nanty - Livre de Poche, 2007
- Jacques Bertholon & Xavier de
Vilmorin - Guide
Johnnie
Walker de la Nuit - Hachette - 1982
- Revue
Gai Pied - Revue In
-
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Spartacus - Brüno Gmûnder - années 70
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